Aimer, c'est jouir, tandis que ce n'est pas jouir que d'être aimé
Découvert mercredi dernier à l'occasion d'une session d'impro au sein du club toastmasters"The Europeens", un chiasme qui parle d'amour ! Quoi de plus approprié pour célébrer cette journée ? Cette citation d'Aristote m'a donné envie de réfléchir. Et pour qui aime réfléchir, il n'y a rien de plus délicieux que de réfléchir à l'amour ? ( enfin si ... mais ce n'est pas le lieu)
La proximité des mots amour et jouissance semble naturelle, mais sa portée est plus large que celle qu'on peut imaginer. Certains mots changent de sens avec le temps - des générations de collégiens qui se sont esclaffés aux mots de Diaphoirus dans le malade imaginaire "baiserai-je papa ?" en savent quelque chose. Il en est de même de cette jouissance qui est plutôt réjouissance. Voici le contexte du texte original - extrait de la morale à Eudème - et qui dit précisément ceci :
Si donc l'acte d'aimer est toujours accompagné du plaisir, que procure la connaissance de l'affection réciproque qu'on se porte, il est clair que, d'une manière générale, on peut dire de la première et suprême amitié, qu'elle est un choix réciproque de choses absolument belles et agréables, qu'on recherche uniquement parce qu'elles sont belles et agréables en soi.
L'amour à cette hauteur est précisément la disposition morale d'où vient ce choix et cette préférence. Son acte même est toute son œuvre, et cet acte n'a rien d'extérieur; il se passe tout entier, dans le cœur de celui qui aime, tandis que toute puissance est nécessairement extérieure ; car, ou elle s'exerce dans un autre être, ou elle n'existe qu'à la condition que cet autre être existe. Voilà pourquoi aimer, c'est jouir, tandis que ce n'est pas jouir que d'être aimé.
Le texte grec dit mot à mot : "car aimer c'est se réjouir, pas être aimé" - déception ! Il ne contient aucun chiasme - mais il est trop tard, j'ai déjà commencé cette note ... non, je ne ferai pas faire marche arrière ! - Le texte met donc essentiellement en opposition φιλεῖν forme active d'aimer et φιλεῖσθαι forme passive)
Plus je grandis, plus j'aime cette vision de l'amour "art de se réjouir"- bien loin de la vision platonicienne de l'amour, fondée sur le manque et sur la fusion, à laquelle Aristote se réfère aussi parfois (Diogène Larte rapporte ses mots "l'amour, une seule âme en deux corps") A l'amour "manque" , l'amour 'recherche de sa moitié androgyne', condamné à s'éteindre dans le couple ou à durer sous forme d'un amour malheureux, je préfère cette conception joyeuse de l'amour. Qui rejoint celle de mon Spinoza préféré, pour qui l'amour est puissance et réjouissance. "L’amour est une joie qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure" L'amour peut s'exprimer ainsi dans le simple bonheur de savoir l'autre en vie, et dans l'émerveillement devant son existence. Cet amour-là n'attend rien, il n'est ni manque ni addiction, il peut fleurir dans le silence. Il rejoint la joie d'être. Alors, le désir n'est plus un manque, mais un trop-plein, une envie de partager, de créer, de donner et provoque, selon la jolie expression de Jean Louis Chretien, une dilatation, une joie ample et "spacieuse".
PS. .... est il besoin de le préciser ? une pensée pour Victor et Juliette, en cette journée anniversaire que j'aime à célébrer.
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