Réveil dans la nuit. Le taxi m'attend devant la pâtisserie "la française". Retour de Casablanca. La ville blanche est dans le noir. La vielle Mercedes qui me sert de taxi file sans bruit. Elle se dirige vers l'aéroport. Bizarrement, Ahmed, le chauffeur s'arrête à un feu rouge. C'est un événement. Jusqu'à ce jour, les feux rouges n'avaient la nuit à Casa qu'une fonction décorative. Ahmed m'explique que nouveau code de la route, actif depuis le début du mois leur a rendu leur vocation originelle.
J'ai laissé Ferdinand endormi. Dans trois heures il se réveillera et trouvera le petit mot que j'ai laissé sur la table flambant neuve achetée samedi chez Kitea, l'hommage local à Ikea. J’y lui dit combien je suis fier de sa décision de plonger dans la vie et de la grâce avec laquelle il sa su s'adapter en quelques jours à un nouveau monde, à une nouvelle vie.
Ferdi, notre premier-né, a quitté la maison. Il a décidé de quitter l'université et la chaleur familiale et de fréquenter une autre école, celle de l'action. Voilà trois jours qu'il inaugure son premier contrat de travail. Sa décision m'a touché. Moi qui ai adoré l'école, qui rêve encore d'enseignement, et que la visite d'un lycée ou d'une université rend léger, j'aime pourtant l'idée qu'il faille en franchir les murs pour apprendre l'essentiel. Ferdinand va découvrir après tant d'autres qu'il y a bien des manières d'apprendre. Travailler, regarder les autres dans les yeux, se laisser surprendre, trouver matière à nourrir sa propre curiosité. Surmonter les obstacles et apprendre à apprendre chaque jour un peu plus.
Ferdinand possède désormais deux clefs. Celle de son premier appartement, quartier Beauséjour et une autre, plus précieuse qui n'appartient qu'à lui, celle de faire de cette nouvelle expérience, une occasion de grandir et de devenir sa propre oeuvre. J'ai envie soudain de lui donner cette citation, qui m'a même elle-même été offerte par Philippe Meirieu, que j'interrogeais un jour sur ce qu'il mettrait au programme de mon école idéale : “Les explicateurs ne détiennent la clé du savoir que de manière usurpée. Il faut absolument s’en détourner et soi-même user de sa propre clé, pour la faire tourner avec patience et finalement accéder au savoir " (Jacotot)
PS. Alors que je termine cette note, je regarde par le hublot. L'avion va traverser le détroit de Gibraltar. Je souris. Je trouvais mon titre un peu pauvre. Voilà que j''ai un chiasme magnifique sous les yeux, dans ce lieu même où, entre le monde connu et le monde à découvrir s'élevaient les colonnes d'Hercule, lieu où la tradition tangéroise place aussi les grottes de Cyclope, que visita mon Ulysse favori. Et je jubile en imaginant que je survole pendant un instant l'endroit même où l'Europe et l'Atlantique, la mer Méditerranée et l'Afrique se frolent. J'y souhaite mentalement bonne chance à Ferdinand dans sa transition personnelle entre l'adolescence et l'age adulte.
- D’où viens-tu ?
- Des crevasses où réside l’or.
- Qu’y a-t-il de plus splendide que l’or?
- La lumière!
- Qu’y a-t-il plus réconfortant que la lumière?
- La parole.
Goethe
Rédigé par : Chris | 24 octobre 2010 à 23:36
Merci Chris, j'avais besoin d'un biais pour commenter ce billet qui me touche particulièrement, notamment parce que j'ai vu arriver Ferdinand à Casablanca et que j'ai pu apprécier ses nombreuses qualités...
donc oui, la parole peut être plus réconfortante que la lumière, l'intuition m'en saisit là, à l'instant de peu avant que j'entame l'écriture de ces lignes... la parole pouvant être plus éclatante que la lumière...
j'ai trouvé l'image des clés absolument lumineuse... ferdinand n'en est que davantage le bienvenu à Casablanca, qui s'empresse on dirait de l'adopter, comme si la ville avait compris à quel point ce "new kid in town" lui est précieux ;-)
Rédigé par : Salvadorali | 25 octobre 2010 à 23:20
> Chris : merci de celle belle citation qui parle au chercheur de lumière et l'amoureux des mots qui est en moi.
> Salvadorali : un vrai plaisir de vous lire et le bonheur aussi de savoir Ferdinand si gentiment accueilli à Casablanca. L'enthousiasme enfin à découvrir votre blog http://salvadorali.centerblog.net/ auquel je me suis abonné illico !
Rédigé par : Philippe joannis | 26 octobre 2010 à 10:01