Dimanche dernier. Me voici en train de redécouvrir le piano de mon enfance dans la maison familiale. Le salon est silencieux de l'absence de maman, hospitalisée. L'envie me prend de mettre une musique sur un poème que j'adore. Poème qu'on m'a offert comme un cadeau et qui m'accompagne depuis ce jour. Et soudain, au milieu des mots, que je connais désormais par cœur - petit instant de bonheur - je découvre un chiasme qui m'avait échappé jusqu'à ce jour. Un mathématicien le qualifierait de canonique. C'est sans doute cette simplicité qui explique que mon œil amateur n'y ait jamais prêté attention. Peut être aussi, à la poursuite de mon cœur, mon esprit s'envole-t-il toujours un peu à la lecture de ce poème. Le voici.
Tu es plus belle que le ciel et la mer.
Quand tu aimes il faut partir
Quitte ta femme quitte ton enfant
Quitte ton ami quitte ton amie
Quitte ton amante quitte ton amant
Quand tu aimes il faut partir
Le monde est plein de nègres et de négresses
Des femmes des hommes des hommes des femmes
Regarde les beaux magasins
Ce fiacre cet homme cette femme ce fiacre
Et toutes les belles marchandises
II y a l'air il y a le vent
Les montagnes l'eau le ciel la terre
Les enfants les animaux
Les plantes et le charbon de terre
Apprends à vendre à acheter à revendre
Donne prends donne prends
Quand tu aimes il faut savoir
Chanter courir manger boire
Siffler
Et apprendre à travailler
Quand tu aimes il faut partir
Ne larmoie pas en souriant
Ne te niche pas entre deux seins
Respire marche pars va-t'en
Je prends mon bain et je regarde
Je vois la bouche que je connais
La main la jambe l'œil
Je prends mon bain et je regarde
Le monde entier est toujours là
La vie pleine de choses surprenantes
Je sors de la pharmacie
Je descends juste de la bascule
Je pèse mes 80 kilos
Je t'aime
Blaise Cendrars, Feuilles de route, 1924
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